vendredi 28 novembre 2008

la famille de Sly Stone

Intro
Imagine le Summer of love et la décennie psychédélique qui a suivie. Imagine les molécules de PCP qui accélèrent la pression artérielle, la balle qui explose l’orbite de John Fitzgerald Kennedy, les familles noires qui bravent la trouille en joignant la marche du pasteur King... Greg Errico connaît tout à propos de ça : les paradis artificiels, les groupies qu’on cabosse en serrant les dents, la schizophrénie des USA.
Dans les années 70, personne n’a pu approcher le degré de cool de la famille Stone. Désormais on peut s’acheter des t-shirts collectors, collectionner des sneakers fluos, comme dirait la pub Mastercard « certaines choses n’ont pas de prix » ; faire la révolution, c’est plus formateur qu’une partie de PES 3 sur une console japonaise.
Greg Errico avait 17 ans quand il est monté à bord du train de la famille Stone ; 22 quand il en est descendu. Le californien a choisi de ne pas s’enfoncer avec sa famille dans les ténèbres en partant là où le soleil continue de briller, du côté ensoleillé de la rue… avec Santana, David Bowie, Jerry Garcia et ses Grateful Dead... entre autres. Il a connu l’avant scène et l’envers du décor. Il a vu un des plus grand génie de son temps se rabaisser à un état plus bas que la merde, il a vu Earth Wind & Fire faire carrière en jouant sa musique, puis Prince et sa bande tapé la super frime, et puis un autre jour il a du voir un disque « d’Outkast c’est ça ? » qui ressemblait vachement à la pochette de There’s a Riot goin’ On… De tout ça, Greg n’en a gardé aucune aigreur. Greg c’est Michael dans le clip de Billie Jean qui illumine le bitume en suivant sa route.
A l’heure où tu lis ces lignes, imagine le soleil de San Francisco. Enlève huit heures, voir neuf, pour le décalage horaire. Regarde ce type qui sort sa Harley V-Rod du garage. Il s’est levé tard… Il ne baise désormais plus qu’une seule femme, la sienne, mais il récupère moins ces derniers temps, faut dire que comme pas mal de batteur, son dos a ramassé. « La vieillesse est un naufrage… pour les autres ». En se regardant dans le rétro, il se trouverait presque des faux airs de Bruce Springsteen sans cette salope de calvitie. Le téléphone sonne ; sa fille passera dimanche, « elle nous présente enfin son petit ami » lui dit son épouse. « Allright » sourit Greg en posant son cul sur le double cylindre alors que l’échappement chromé crache une fumée noire.
I Want To Take You Higher ! Il y a quarante ans, la family Stone voulaient nous amener plus haut. Il y a quelques semaines, en discutant avec moi, Greg Errico m’a donné envie de devenir meilleur.










Je suis né et j’ai grandi à San Francisco, dans un quartier de classe moyenne… je crois que ce coin là a plutôt mauvaise réputation maintenant, c’est au sud est de la ville. À l’école c’était mixte, les Noirs et les Blancs ensemble, spécialement pendant mes années collège ; ce fut moins le cas au lycée. Maintenant j’habite plus au Nord, dans le comté de Sonoma, à environ 40 minutes de la ville, en pleine campagne… J’élève toujours mes gamins, j’en ai un de 8 ans qui va toujours à l’école, un autre qui vient de décrocher son diplôme à l’université, un autre qui est à la fac depuis deux ans, une fille qui vit a Hawaï, et une autre en Californie ; j’ai 5 enfants.

T’écoutais quoi en grandissant ?
San Francisco est une ville cosmopolite, j’ai donc été exposé à beaucoup de styles de musique. J’écoutais de tout : Jazz, Salsa, R&B… J’écoutais beaucoup de musique où il n’y avait pas de batteur comme la musique latine, le Gospel.

Pourquoi la batterie alors ?
D’autant que je me souvienne j’ai toujours aimé ça ; ça m’a toujours attiré. Mais mes parents ne voulaient pas m’acheter de batterie donc je n’ai pas joué avant l’âge de 14 ans. J’ai appris tout seul. J’avais beaucoup de potes qui avaient leur batterie avec des manuels pour apprendre à s’en servir, la totale… Moi je faisais de la batterie en jouant par-dessus mes 45 tours ; mes potes étaient dingues parce qu’eux après les cours ils étudiaient leurs manuels. « C’est pas possible tu peux pas faire ça ! » « Bah si je peux » (rires) Moi je n’ai rien contre les manuels mais dans mon cas c’est la musique qui me dirigeait.

T’étais autodidacte, mais est ce que t’avais des modèles ?
Le premier batteur qui m’a VRAIMENT impressionné était Buddy Rich ; Joe Morello aussi, j’aimais beaucoup…

T’as eu des groupes avant la family Stone ?
J’ai débuté dans la family Stone en décembre 1966, j’avais 17 ans et demi ; trois ans seulement après que j’ai commencé la batterie ! Avant ça, à 15 ans, je jouais dans des bars et comme tu le sais, vu que c’est un endroit où on vend de l’alcool, je n’étais pas sensé être là, je jouais avec des mecs plus âgés. Et à 16 ans j’ai rencontré Freddie [Stewart, le petit frère de Sylvester]. On a fait un groupe Freddie & the Stone Souls

Comment t’as rencontré Freddie ?
Je l’ai rencontré par le biais d’un chanteur, Leon Patillo qui chantait dans un groupe qui avait la côte à San Francisco, les Leon’s Creation. Leon jouait un soir avec Freddie et il m’a appelé pour l’accompagner, c’est ce soir là que j’ai rencontré Freddie pour la première fois. Et c’est ce même soir qu’il m’a proposé qu’on fasse un groupe. Freddie était vraiment cordial, très amical, on était tous les deux passionnés ; il y avait une bonne chimie entre nous.

Il était surpris de voir un musicien Blanc aussi funky ?
Ouais (rires) Surtout à cette époque ce n’était pas commun ! Mais il n’en était pas pour autant intimidé, ou gêné en quoi que ce soit ; au contraire il trouvait ça plutôt cool.

T’étais aussi étrange qu’un basketteur Blanc.
(Rires) C’est un peu ça… Imagine à l’époque…

Et la première fois que t’as vu Sly ?
En fait j’avais déjà entendu parler de lui, c’était une figure locale, un personnage public. C’était un disc jockey réputé dans la Bay Area, une radio personnality. Il avait une Jaguar 65 décapotable… violette ! Il était déjà assez frais (rires)… Et la toute première fois que je l’ai vu ça doit être lors d’un de nos concerts avec Freddie ; Sly était le MC [maître de cérémonie au sens littéral]. On n’a pas beaucoup parlé ce soir-là, il était là pour voir le show, et aussi, je pense, pour me surveiller. Il avait déjà entendu parler de moi à travers son frère… et il avait sûrement envie de se faire son opinion. A cette époque il expérimentait beaucoup, il avait déjà eu plusieurs formations : il a eu un groupe qui s’appelait Sly & the Stoners mais ça ne décollait pas. Finalement on s’est mis à travailler tous ensemble. Sly avait un bon feeling sur ce qui allait fonctionner, il avait choisi tout le monde : Larry [Graham, le bassiste], Cynthia [Robinson, à la trompette], Jerry [Martini, le saxophoniste]… Un soir, je me pointe dans un club où j’avais rendez-vous avec Freddie & the Stone Souls et en arrivant je ne reconnais pas tout le monde… je vois Freddie avec Sly : « C’est la naissance d’une nouvelle formation ce soir, ça te branche ? »

Jerry Martini aurait été à l’initiative de regrouper les Stoners et les Stones Souls.
Jerry allait toujours dans le studio de Sly à la radio [Ksol]. Ils passaient leur temps à discuter et Jerry lui a dit « on devrait monter un groupe ce serait fantastique : tu pourrais écrire, tu pourrais produire, faire des scènes ». Ce n’était pas vraiment ce que Sly avait à l’esprit ; il avait du succès à la radio, il gagnait déjà de l’argent, il était producteur [« C’mon and Swim » pour Bobby Freeman en 1964]. Donc ouais, on peut dire que c’est Jerry qui l’a persuadé de se lancer.

Quel était votre état d’esprit quand vous avez enregistré I ain’t got nobody ?
En fait c’est une de nos premières démo de Sly & the Family Stone celle-ci ! C’était une histoire d’amour, faut pas se méprendre, ce n’était pas “je n’ai pas de contrat“, “pas de manager“ (rires). Nos premières chansons étaient plus un truc d’initiés, le grand public n’a pas vraiment accroché. Je ne pense pas que ce soit cette chanson qui ait fait qu’on ait signé pour Columbia mais plutôt la musique que Clive Davis nous avait vu jouer sur scène. Clive Davis était déjà en place dans l’Industrie du disque, c’était une figure respectée, il était vice-président d’Epic, il avait signé Barbra Streisand… Mais la musique changeait considérablement, c’était un tournant… si tu considères ce qui se passait aux USA au début des sixties, tu réalises que tout a changé entre 1960 et 1970. On en était à Frank Sinatra… puis les Beatles ont débarqué en 64 et plus rien n’a été comme avant. La musique que nous avons offerte aussi a initié beaucoup de changements parce qu’elle contenait beaucoup de saveurs différentes : Gospel, Rock&Roll, R&B, un peu de Jazz…

C’est pour ça que votre premier album s’appelait A Whole New Thing…
Comme tu dis. C’est exactement ce que c’était… Ce message exprimait ce qu’on ressentait. Finalement le groupe a inspiré plusieurs générations de musiciens : d’Earth Wind & Fire à Prince, tout le R&B qui est venu après, le Funk et même des gens comme Miles Davis. Au début tu m’as demandé ce que j’écoutais quand j’étais plus jeune et en fait, dans le groupe, on a tous grandi dans la Bay Area, un environnement cosmopolite. Le fait d’avoir été exposé à toutes ces influences est sûrement un des éléments…

Quelle a été ta réaction la première fois que tu as entendu Cloud Nine des Temptations ? On pouvait croire à une réponse de Motown à la révolution que vous aviez initiée…
C’est exactement mon sentiment. La première fois que j’ai entendu Cloud Nine j’étais « Wow ! Écoute ça : ça parle de nous » (rires) Ca été ma première pensée. Moi j’ai pris ça comme une reconnaissance Whoa ils nous écoutent ! Parce qu’à nos débuts ce qu’on faisait n’était pas reconnu et ça devenait frustrant à la longue… t’as forcément envie de faire une musique qui touche les gens. Comme tout n’était pas encore en place, on continuait d’expérimenter, sans arrêt, en se demandant comment faire pour que ça prenne de l’ampleur... Donc entendre un groupe populaire comme les Temptations, des compositeurs comme Norman Whitfield, un label comme Motown nous reconnaître, avant que le grand public ne le fasse, c’était vraiment positif ; c’est comme ça qu’on la ressenti.

Quand on pense aux années 70, Stevie Wonder était à son sommet, même chose pour Marvin Gaye, Isaac Hayes, Curtis Mayfield… Ca devait être un sacré challenge de participer à cette guerre des étoiles…
Quoique tu fasses, t’essaies toujours de faire mieux, plus fort. Même si tu as déjà accompli quelque chose qui magnétise, qui attire tout le monde, auquel tout le monde fait référence… Même quand t’as atteint ce niveau, le nouveau challenge était de rester frais. Tu n’as pas forcément à changer quelque chose mais à maintenir ce niveau et c’est là le nouveau challenge : to keep it Fresh, to keep it real.
Ca me parle… et par rapport au contexte, quel artiste t’impressionnait le plus ?
Stevie Wonder était incroyable. Il avait l’habitude de venir et de chiller avec moi quand il passait dans la Bay Area. On jammait… et il me jouait aussi des cassettes… ses démos m’ont bluffé ! Stevie était singulièrement talentueux comme compositeur, comme musicien : il joue de n’importe quel instrument, c’est flippant. Il est incroyablement talentueux. On a fait quelques concerts quand il était dans la Bay Area.
Lui aussi avait des musiciens Blancs, je me rappelle du guitariste Mike Sembello… d’ailleurs c’est marrant que la plupart des musiciens Blancs avec du Funk soient d’origine italienne…
Tu sais quoi ? Je crois que t’as raison (rires) J’ai débarqué à une époque où le batteur, qui était traditionnellement au fond, passait sur le devant de la scène, que ce soit en concert ou dans la façon dont c’était mixé sur un disque… j’ai été un des principaux responsables de ce changement. Et c’est vrai qu’à cette époque il y avait des batteurs italiens qui avaient cette agressivité, ce genre d’attitude qui prouvait que tu pouvais assumer cette position. C’était vrai pour le Rock & Roll, le R&B. Maintenant ça peut être n’importe qui. J’y avais jamais pensé mais je me dis que t’as raison, il y avait un truc spécial avec les italiens…
Ta famille aurait sûrement préféré que tu bosses avec Frank Sinatra, non ?
(Rires) j’en sais rien. J’ai toujours aimé les Big Bands comme celui de Count Basie [qui accompagne le crooner sur Fly Me To The Moon], j’adorais écouter ça. Ca m’a toujours parlé les Big Bands avec les cuivres et tout. Quand on a formé Sly & The Family Stone, on avait aussi la section cuivres, c’était vraiment excitant à jouer dans un groupe de R&B avec des cuivres à la façon des Big Bands.
Booker T & les MG’s était aussi un autre groupe mixte…
J’étais avec Booker en tournée il y a quelques années. Tu sais, lors de ma première tournée en 1967 c’était au moment où il y avait des émeutes raciales dans la plupart des grandes villes aux Etats-Unis. La situation ne pouvait pas être plus tendue, je me rappelle qu’on est passé par Detroit, à l’époque où un militaire a été descendu, il y avait le couvre-feu et la garde nationale nous a fait faire demi-tour… Un bus avec des Noirs et des Blancs, des femmes, des hommes habillés de manière marrante, ils ne savaient pas quoi faire, on devait être effrayant en fait ! C’était vraiment étrange de voyager jusque dans le Sud, de s’arrêter dans les restaurants ou les stations essence… on n’en a pas vraiment pris la mesure, mais c’était plutôt dangereux. La situation évoluait constamment, de façon brutale, et nous on roulait au milieu de tout ça…
Les tensions du pays ne se sont jamais invitées dans le groupe ?
La musique est très puissante et elle parle a tout le monde, il n’y a plus de couleurs, de nationalité, pas de ségrégation.
Vous avez fait Woodstock, vous aviez un public mixte, c’était quoi le message d’un morceau comme Don’t call me nigger ?
C’était une petite mise au point : Don’t call me “nigger“ Whitey ! Don’t call me “whitey“ Nigger ! A l’époque les tensions entre les Noirs et les Blancs étaient très fortes, c’était juste une question de respect : ne m’insultes pas. En fait on a deux choix : soit on s’insulte, soit on se respecte. Mais c’était dit avec le bagout de la rue, d’une manière funky, c’était dit avec des mots crus, le genre de termes qui te blesse ; c’était Bad (rires).
T’es le seul à pouvoir répondre à cette rumeur : il paraît qu’à un moment les Blacks Panthers auraient fait pression sur Sly pour qu’il engage des musiciens Noirs à la place de Jerry et toi…
Cette information revient souvent… et pour moi ça reste plus du domaine de la rumeur que de la réalité. Sincèrement à l’époque je n’en ai jamais eu vent, ça me semble plus être une rumeur qui est née a posteriori et qui prend plus de poids maintenant. Même s’il y avait eu ce genre de pression, Sly n’aurait jamais accepté, il ne les aurait pas calculé, ça ne se serait jamais passé. Tu sais on faisait ce qu’on avait à faire… en assumant beaucoup de challenges et finalement même si ça été vrai, ce n’est pas le genre de chose qu’on prenait en considération. Moi je n’ai jamais vu de Black Panthers dans l’entourage de Sly.
Tu as été le premier a quitté le groupe en 1971, pourquoi ?
J’avais beaucoup de déception par rapport… (Il soupire) la musique était toujours importante, ça a toujours été notre principale préoccupation… mais si je dois expliquer les choses clairement je dirais que ça ne tournait plus autour de la musique mais autour des psychotropes… Il n’y avait plus d’organisation, ça commençait à être le chaos, il n’était plus question de musique. Ca a commencé à se détériorer, le fun avait disparu. Je pense que toutes les mauvaises influences qui ont participé à la destruction du groupe n’auraient pas eu lieu s’il n’y avait pas eu de drogues. Tu peux faire reposer ça uniquement sur la drogue mais il faut aussi savoir se remettre en cause à un niveau personnel. A un niveau individuel, tu peux déjà décidé d’arrêter d’en prendre… Il n’y a pas d’ambigüité là-dessus la drogue a contribué à la mort du groupe.
Il n’y avait tout simplement plus de famille
Ouais… c’est exactement ça. Sly a déménagé à Los Angeles, il s’est déconnecté de nous. Etre seul ce n’est pas forcément un problème en soi, mais, dans ce contexte, ça l’était peut être. Il y a eu aussi beaucoup de mauvaises influences autour de lui… j’étais déçu. Quand j’ai compris que la situation ne pouvait pas s’améliorer ou qu’elle ne pouvait qu’empirer, j’ai pris la décision de partir et je dois dire que, malheureusement, et j’insiste sur le malheureusement, j’avais raison. J’aurais aimé continué, produire des choses merveilleuses… et j’ai fait beaucoup d’efforts ces 17 dernières années pour essayer qu’on se reproduise tous ensemble. Mais je n’ai pas réussi… Sly en aurait peut-être envie, mais quand tu le vois, sa condition physique, sa condition mentale… il peut toujours écrire des chansons s’il le veut, il peut toujours se produire sur scène s’il le veut… Mais est-ce qu’il est “capable“ dans le sens où il n’y a pas de différences entre ce qu’il aimerait faire et ce qu’il est capable de faire… il apparaît que cette situation n’existe pas de ce que j’en vois, c’est plutôt triste…
Toujours rayon rumeur, il paraît que Sly avait peur de se faire buter… notamment par Larry Graham.
(Rires) Ca se peut avec la paranoïa qui allait avec tout ce qui se passait, avec le style de vie qu’il continuait à mener. Mais l’histoire avec Larry c’est vraiment l’exemple d’une rumeur qui s’amplifie avec le temps, et quand ça parvient à ta connaissance, l’histoire a encore été montée en épingle une nouvelle fois ! Fondamentalement je ne démentirais pas qu’il y avait des tensions (rires)… Ca c’est vrai. Le reste c’est du n’importe quoi.
Quels genres de type étaient Bubba Banks, et JR Valtrano ?
Je me rappelle de JR, c’est un mec cool, il était toujours avec nous, pour nous donner un coup de main, parfois il était road manager, parfois simple accompagnateur. Hamp était là depuis le départ. Sly et lui étaient même potes bien avant le groupe. Banks c’est un mec qui a grandi dans la rue, il avait le comportement d’un mec de rue. Il a toujours été cool avec moi, je n’ai jamais eu de problèmes avec lui. Je sais qu’ils étaient meilleurs amis mais que par la suite ça n’a plus été le cas, puisque ils ne se parlent plus. Il était aussi proche de Rose, la sœur de Sly, puisqu’ils se sont mariés par la suite, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte dans leur relation (rires) c’est la vie comme on dit : it’s a family affair (rires). JR était italien, et il arrivait dans le décor juste avant que je parte en fait… Je sais qu’il est mort dans un accident de moto il y a quelques années.
Mais ce JR il était dans la musique ?
Ouais il était dans la musique, bien sûr, mais il était plus là comme garde du corps. Si Sly n’était pas devenu une célébrité, ils ne se seraient probablement jamais rencontrés… Tu avais différentes relations par rapport à différentes choses. Hamp, lui, c’est vraiment une relation de longue date ; tu sais pour être dans l’entourage de Sly, il fallait être son pote, ce n’était jamais des relations purement professionnelles.
Tu avais retrouvé Larry Graham sur le premier album de Betty Davis, que tu as produit.
J’avais quitté le groupe en 71 et j’ai dû commencer à travailler sur cet album en 72, je bossais au Folsom Street studio à San Francisco avec Michael Carabello, le percussionniste de Santana. On enregistrait un disque ensemble au moment où il sortait avec Betty. Il m’a dit qu’elle voulait enregistrer avec moi… et que peut être ils auraient besoin de moi pour produire le disque ! C’était seulement le deuxième disque que je produisais de façon indépendante. C’était un défi… que j’ai accepté. J’ai choisi la section rythmique, les musiciens qui ont joué sur le disque : Larry Graham comme bassiste, Neal Schon, un guitariste de Santana, la section cuivres des Tower Of Power, Merl Saunders, le clavier des Grateful Dead, les Pointer Sisters avant qu’elles n’enregistrent leur premier disque… C’était un disque très intéressant. Ca n’a pas été un grand succès commercial, mais ce disque vie toujours aujourd’hui. Les gens le citent encore souvent aujourd’hui…
Surtout la génération Hip Hop…
C’est vrai… et je vois pourquoi : c’est cru et funky, very real. Je comprends que ça leur parle. Moi je suis batteur, fondamentalement je comprends quand ça sonne cru (rires).
En produisant l’album de Betty, est ce que tu as rencontré son mari, Miles ? On raconte qu’il aurait été influencé par votre musique quand il a enregistré Bitches Brew…
Ouais c’était Betty qui l’a branché sur les artistes contemporains comme nous ou Jimi Hendrix. Et ça apportait de la jeunesse dans sa musique, du changement. Ca s’est passé par son biais mais j’imagine que lui aussi était à la recherche de ça. C’était intéressant. J’ai rencontré Miles en dehors du travail avec Betty. Il est venu à quelques uns de nos concerts, je me rappelle du Newport Jazz Festival, en 1969, il jouait pour l’ouverture du festival et il est resté tout le week end pour nous voir jouer. Il y a un documentaire sur l’histoire du Jazz réalisé par Ken Burns [« Jazz »], tu devrais y jeter un œil. A un moment il parle de George Wein qui décide d’apporter de la Pop au Newport Jazz Festival. Et il a décidé de faire jouer Sly & the Family Stone. Miles avait l’habitude de venir y jouer chaque année, on a chiller avec lui… après avoir vu notre musique, il a voulu changer, expérimenter de nouvelles choses… Miles en parle dans ce DVD, je te le recommande chaudement. Miles était plutôt gentil. Par rapport aux “gens de tous les jours“, il était perché c’est sûr. Michael Carabello trainait beaucoup avec lui quand il était sur New York. C’était quelqu’un d’assez lunatique, difficile à cerner, finalement c’est le propre de beaucoup de gens créatifs, dans son cas on peut même parler de “génie“. Ils peuvent toucher des millions de gens mais en même temps quand tu t’assois avec eux, face à face, tu ne peux pas les toucher, Fous le camp d’ici ! (Rires) ça semble être assez commun pour cette catégorie d’artistes.
Si t’as pas rencontré Miles, est-ce que t’as rencontré Jimi Hendrix en bossant avec Betty Davis ? J’ai cru comprendre qu’elle fricotait avec lui…
Non plus. La meilleure amie de Betty Davis était la chérie de Jimi Hendrix, elle s’appelait Devon Wilson. J’ai rencontré Jimi dans d’autres circonstances lorsque nous étions en tournée en Europe. A un moment nous étions dans le même hôtel, et je m’apprête à prendre l’ascenseur, quand la porte s’ouvre sur Jimi Hendrix, seul… « Salut ». Il montait lui aussi, c’était un type discret, assez timide même, en dehors de la scène. On commence à discuter et il me fait part de son projet de nouvelle formation « Tu serais intéressé ? » « Bien sûr » (rires) J’étais scié ! Whoa ca serait fantastique… mais je ne pouvais pas. A l’époque on était à notre sommet et je ne me sentais pas de descendre du train. Malheureusement, c’est la réponse que je lui ai faite. J’ai eu l’impression de passer des heures dans cet ascenseur même si ce n’était pas si long… Malheureusement, quelques semaines après, il nous quittait.
Tu as aussi travaillé avec David Bowie.
Après que j’ai quitté le groupe [Sly & the Family Stone] j’ai déconnecté de la musique pendant un an… j’avais une moto, une Harley Davidson et je me suis baladé avec des amis, on a avalé des kilomètres, je voulais m’éloigner de tout ça… Je recevais beaucoup d’appels pour des propositions que j’ignorais et puis une fois j’ai décroché, c’était Doug Rauch, son bassiste : « David Bowie vient sur la Côte Ouest pour une tournée » je pensais que ca pouvait être pas mal, c’était la tournée des Diamond Dogs.
En 2006, il y a eu une cérémonie en l’honneur de Sly & the Family Stone aux Grammy awards, t’en as fait partie ?
Oui, je jouais. Il y a tellement de monde sur scène qu’on a du mal à voir. Tout le groupe était là, même Larry Graham : il ne devait pas être là mais finalement il a pu venir… mais il est tombé malade, juste avant la cérémonie, c’est ce qu’il a dit… J’étais honoré que les invités [Dave Chapelle, Will I.am, John Legend entre autres] nous rendent hommage de la manière dont ils l’ont fait, qu’ils se montrent respectueux à ce point. Cependant il y avait trop de monde sur scène. Selon moi, après l’hommage, il eut fallu laissée la scène à… Sly & the Family Stone, ça aurait été incroyable. On a répété pendant une semaine et crois moi, on était prêt. Finalement Sly était embarrassé, ça ne se passait pas comme prévu, il a quitté la scène… et le public n’a rien compris… mais qu’est ce que tu veux ? Ca c’est déroulé comme ça…
Et t’as revu Sly depuis cette fameuse soirée ?
Ouais. Il m’appelle souvent, il est inspiré, il compose beaucoup, avec des textes incroyables ; c’est vraiment au top… et on essaie de se reformer mais jusqu’à présent ça n’est pas encore arrivé. Je pense que c’est toujours possible mais à mesure que le temps passe, je sais pas… Il part bientôt au Japon pour quelques dates avec Jerry je crois, et ce n’est pas super bien organisé… Mais on parle toujours. J’ai vu Freddie au Yoshi’s, un club de Jazz d’Oakland il y a peu, on était allé voir Stanley Jordan… mais ça devient très complexe d’organiser ça. Avant, on avait un dénominateur commun : la musique. La diversité que tu voyais sur scène c’était vraiment nous, pour moi la musique est plus forte que les embrouilles, c’est pour ça que ça pourrait le refaire. Tant qu’on est toujours en vie, il y aura toujours une possibilité.
En parlant de votre héritage, je sais que Prince a souvent joué avec Larry Graham
Larry est toujours en lien avec Prince, il vit à Minneapolis, c’est son voisin. Je ne connais pas exactement leur relation mais je sais qu’ils jouent souvent ensemble, moi aussi j’ai joué quelques fois avec eux quand ils se produisaient dans la Bay Area, il y a quelques années. Parmi nos héritiers en ce moment j’aime beaucoup Dumpster Funk, le nouveau groupe d’Aaron des Neville Brothers, ils ont repris le flambeau…
Vos sapes étaient plutôt dingues, t’as eu un look en particulier que tu regrettes encore ?
(Rires) Il doit en avoir plusieurs… mais je n’étais pas le seul. Une fois Jerry Martini a porté un tapis ! C’est à cause de Sly, il regardait autour de lui et il a bloqué sur un tapis « je vais faire un trou dedans pour que tu y passes ta tête » (rires). Me concernant il y a bien une veste en léopard avec des franges et tout… c’était pour la couv’ du magazine Rolling Stone. Je ne pense pas que je me baladerais à Paris avec ça sur le dos (rires). C’est sur que notre style était sauvage, pas de doute.
En tant que musicien Blanc, c’était comment d’être la colonne vertébrale d’un des plus grands groupes de l’histoire de la musique noire ?
Devine ? It was absoluty off the hook ! Comment ne pas prendre son pied ? Pour moi c’était comme respirer, ça m’a semblé naturel, comme quand je disais à mes potes batteurs que je jouais à la maison sur les 45tours de Ray Charles ou d’Aretha Franklin, c’était naturel. Je crois que je n’ai réalisé la signification de tout ça que bien plus tard dans ma vie : après avoir explosé, être revenu et avoir guidé la nouvelle génération qui ne t’a jamais vu… C’est là que tu te rends compte que ce que tu as fait parle toujours, ça a dépassé le marketing, la hype. Il s’agit de musique, de ce que tu as crée et donner aux autres.